Essai jubilatoire VS revisitation des mythes, Michel Serres et Sylvain Tesson se livrent à 1 an d’intervalle à un combat où le « c’était mieux avant » est au coeur des débats.
Les Pitchs
TESSON
« Au long de l’Iliade et de l’Odyssée chatoient la lumière, l’adhésion au monde, la tendresse pour les bêtes, les forêts – en un mot, la douceur de la vie. N’entendez-vous pas la musique des ressacs en ouvrant ces deux livres ? Certes, le choc des armes la recouvre parfois. Mais elle revient toujours, cette chanson d’amour adressée à notre part de vie sur la terre. Homère est le musicien. Nous vivons dans l’écho de sa symphonie.«
Pour écrire Un été avec Homère, Sylvain Tesson s’est retiré sur une île des Cyclades, au bord de la mer Égée, dans la lumière, l’écume et le vent. « Nous sommes les enfants de notre paysage« , écrivait Lawrence Durrell.
Un été avec Homère est à l’origine une série d’émissions diffusées pendant l’été 2017 sur France Inter.
SERRES
Ce petit manifeste, écrit sur un coup de sang par l’auteur de Petite Poucette en colère contre tous les Grands Papas Ronchons qui empêchent de regarder devant nous avec espoir, a été tout d’abord offert à tout acheteur de deux livres de poche de Michel Serres. Devant l’enthousiasme qu’il a suscité et les nombreuses demandes, il a été publié sous forme d’un tout petit livre : » Dix Grands Papas Ronchons ne cessent de dire à Petite Poucette, chômeuse ou stagiaire qui paiera longtemps pour ces retraités : » C’était mieux avant « .
Or, cela tombe bien, avant, justement, j’y étais. Je peux dresser un bilan d’expert. Qui commence ainsi : avant, nous gouvernaient Franco, Hitler, Mussolini, Staline, Mao… rien que des braves gens ; avant, guerres et crimes d’état laissèrent derrière eux des dizaines de millions de morts. Longue, la suite de ces réjouissances vous édifiera. «
Les livres, les idées
Sylvain Tesson l’annonce : « Je crois à cela : l’invariabilité de l’homme« , au détriment du progrès et de la perfectibilité, concepts modernes inaudibles pour les Grecs, dont le temps lui-même n’a que deux dimensions : la présence du présent, ou la plénitude d’être ; la mémoire qui vaut immortalité.
L’Iliade et l’Odyssée (la guerre absurde et le retour contrarié du héros) démontrent la vanité de l’humain et l’omniprésence des dieux dans nos destinées.
Passionnant, vigoureux, vivifiant, exaltant, le livre – ou plutôt le commentaire- de Tesson glisse peu à peu vers un réquisitoire personnel contre le monde moderne.
« Et si nous autres, les hommes, nous nous étions comportés à l’égard de la nature comme Achille envers les dieux ? Nous avons dérégulé l’équilibre. Nous avons dépassé les bornes, harassé le monde, fait disparaître les animaux, fondre les glaces, s’acidifier les sols. Et aujourd’hui notre fleuve Scamandre, c’est-à-dire toutes les manifestations du Vivant, sort de son silence pour signaler nos excès.
En termes écologiques, on dit que les signaux d’alerte sont dans le rouge. En termes mythologiques, on dit que les fleuves débordent de dégoût. Nous sommes, comme Achille, poursuivis par les eaux. Nous ne comprenons pas encore qu’il faut ralentir notre course vers ce gouffre que nous continuons sottement à appeler le progrès. »
Tesson nous offre une société à sa façon : l’homme doit être viril et courageux, force et beauté sont les valeurs suprêmes et tout recours aux instruments contemporains est à proscrire.
« Après tout, les heures que nous passons, hypnotisés par les écrans digitaux, oublieux de nos promesses, dispendieux de notre temps, distraits de nos pensées, indifférents à notre corps qui s’épaissit devant le clavier, ressemblent aux heures hagardes des marins d’Ulysse sur l’île empoisonnée. Les tentacules de la société digitale s’immiscent en nous. Ils nous arrachent à l’épaisseur de la vie vécue. Bill Gates et Zuckerberg sont les nouveaux dealers de loto. »
Chacun y trouvera sans doute son compte. Cette approche d’ouvrages anciens, poétiques et formateurs (et aussi peu adaptés à nos lectures actuelles soyons honnête) nous permet de nous replonger dans une mythologie/philosophie formatrice, parfois même à contrario. Cependant, les excès passéistes (réactionnaire? cf Les chemins noirs du même auteur) de Sylvain Tesson peuvent lasser sur la durée.
« … l’Iliade comme L’Odyssée définissent les structures dans lesquelles viendront prendre place les figures historiques à venir- et l’incompatibilité de ce monde avec la « prospérité » et le « confort », « horizon que prescrit un nouvel (et grisâtre) héros de notre temps, Mark Zuckerberg », « l’inventeur numérique de la flaque d’eau de Narcisse (Facebook, disent-ils) »
Pour Serres (88 ans) , le problème est inverse : les ronchons sont omniprésents et à leur « c’était mieux avant« il répond : « avant? justement parlons en, j’y étais ! »
« Nous contractions donc la chiasse en famille au moins six fois l’an. Nous avons crevé de faim pendant la guerre, plus quelques années après l’armistice ; les macaronis que nous mangions, pensionnaires à la cantine du lycée, fourmillaient d’asticots. Ah! la biodiversité. Avant, c’était copieux, mieux, délicieux. »
Positif, ambitieux, tourné vers l’avenir malgré son titre, l’essai de Michel Serres établit une réelle perspective entre un passé sublimé et un futur encore à créer (même s’il accepte qu’en matière d’entrées de ville et d’urbanisme, là c’était réellement mieux avant !).
« On oublie souvent que la plupart des morales, juive, épicurienne,, stoïcienne, chrétienne, bouddhiste… consistaient en exercices à suivre pour pouvoir supporter une souffrance inévitable et quotidienne. »
Sexualité, moeurs, alimentation, communication, voyage, guerre, santé, politique… tout a changé et en mieux d’après l’octogénaire.
« Voici la base d’une nouvelle tour (-Eiffel-) étêtée, sans sommet. Autant d’émetteurs que de récepteurs : enfin le grand nombre a conquis aussi l’émission. Cela dessine un nouvel espace de communication, en forme de réseau ou d’entrelacs, réalisant ainsi l’utopie préalable à la démocratie. »
Bref, 2 livres foisonnants aux vertus salvatrices quel que soit l’angle sous lesquels on les lit.
Bonne lecture
😉 😉 😉
Les interviews
Pour les acheter à la FNAC, mais bien évidemment c’est beaucoup mieux chez votre libraire :
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